• Joseph Owona Ntsama: « les musiciens camerounais aiment la facilité »

    Auteur : Marie Claude | 21 juin 2022 | 972 vues

Le critique et chroniqueur musical Joseph Owona Ntsama fait un diagnostic de la musique camerounaise aujourd’hui. A l’occasion de la fête de la musique qui se célèbre ce 21 juin, il détaille les contours actuels du style musical camerounais, et parle d »une crise de la création.

People237: Comment définissez-vous la musique camerounaise ?

Joseph Owona Ntsama: C’est tout simplement la musique (l’art de penser avec les sons) jouée par des personnes des deux sexes de nationalité camerounaise. C’est aussi ce qui est représentatif du patrimoine matériel musical camerounais sur le plan de son anthropologie culturelle : ce que l’on pourrait designer par « les musiques patrimoniales » du cru, puisque l’on ne dit plus « musiques traditionnelles », aujourd’hui. Donc, c’est ce qui est l’émanation de la perception musicale (qui est bien entendu diverse et variée en fonction de nos aires culturelles) par ceux et celles qui se reconnaissent comme « Camerounais ».

People237: Quel bref historique pouvez-vous faire sur la musique au Cameroun ? 

J.O.N: L’émergence de notre musique dite « contemporaine » est en quelque sorte consubstantielle de l’évolution politique des regroupements géopolitiques qui structuraient les espaces politiques d’alors et l’AEF (Afrique Équatoriale Française), pour ce qui concerne la sous région d’Afrique centrale. C’est effectivement à Brazzaville qu’était installée la toute première radio qui va inonder de ses programmes les musiques venues des Îles comme Haïti et Saint-Domingue et, partant, le Cameroun, qui avait le statut international de « Territoire Associé ». Les merengues et d’autres musiques assimilées nous viennent d’ailleurs de là et de cette époque. La rumba, dans sa forme originelle nous vient de Cuba. Ce sont ces musiques qui constituent, pour ainsi dire, notre premier patrimoine musical contemporain : elles seront reprises, sous des formes diverses et tout en tenant compte des expressions musicales du cru comme le bolobo mais surtout l’assiko, par les premiers groupes de musique qui foisonnaient à l’époque sur la côte littorale camerounaise : l’Uveco Jazz ou l’Orchestre de l’Orfecam en sont des exemples pertinents et nous sommes dans les années 40-50. Et ce ne sont pas les seuls, bien entendu. Par la suite, l’avènement de la radiodiffusion va booster cette dynamique notamment dans les villes de Douala et de Yaoundé : les premiers enregistrements de nos musiques (Anne Marie Nzié, Charles Lembe…), sur place, datent de ce moment-là, fin de la décennie 50 et les années 60. Ensuite, c’est un peu le début de l’émancipation avec un Manu Dibango, bien entendu, mais aussi les premiers enregistrements chez Philips d’un Dikoto Mandengue (Songo A Esele) et du jeune Ekambi Brillant auréolé de son Prix de l’ORTF : les années 70 serviront un peu comme une « rampe de lancement » à notre musique, identitairement parlant, puisque nous entrions, pour ainsi dire, dans le concert des nations avec « Soul Makossa ». La suite est connue de tous ! Voilà modestement et de manière extrêmement ramassée ce que je puis dire sur cette question.

People237: Existe t’il un évènement marquant qui a modifié la tendance de la musique camerounaise?

J.O.N: La musique est appelée à changer par elle-même parce que essentiellement dynamique, mais aussi parce qu’elle est le fait de la perception de tout un chacun, d’abord : l’innovation, en soi, n’étant pas nécessairement quelque chose de néfaste. Maintenant, il y a certes des influences dites « extérieures » qui pourraient avec un impact que l’on apprécierait diversement : c’est un peu le cas du Makossa qui, du fait de la versatilité de quelques-uns de ses exécutants, a progressivement perdu son âme durant la décennie 90. J’ai toujours pensé que « MakoSouk » et autres « MakoSmurf » étaient essentiellement contre-productifs à cette belle musique ! C’est aussi cette tendance à la facilité ambiante que l’on observe dans ce qu’il est convenu de désigner par « Afro pop » où toutes les chansons se ressemblent auditivement… C’est un phénomène curieux mais avec lequel nous sommes un peu tenu de faire avec.

People237: L’évolution de la musique telle que nous la connaissons aujourd’hui est-elle une aubaine ou un fossé pour ce domaine culturel ?

J.O.N: Une aubaine ? Au regard de ce que certaines personnes sont susceptibles d’engranger financièrement, peut-être… Mais le problème reste entier et fort préoccupant, à mon avis : il y a une réelle crise dans le milieu et c’est incontestable ! Nous sommes à une ère de musique sans instrumentistes avec l’Afro-pop qui est pourtant caractéristique de ce que nous faisons de mieux, paraît-il…

People237: De nombreuses personnes critiquent la musique faite de nos jours. Elle serait obscène, ou bien diluée par les rythmes étrangers. Quel est votre avis sur la question ?

J.O.N.:  Le choix du texte obscène (Amazone, Tanus Foé…) au-delà de la grivoiserie aristocratique (comme chez un Pedro du Cameroun), est un choix de facilité, donc, de médiocrité. Par ailleurs, la dilution stratégique dans/par les « rythmes étrangers » comme vous le dites, procède davantage de cette paresse qui caractérise les créateurs actuels : ce serait trop facile si les choses devraient être établies ainsi comme normes. Non. Mais on en est là et il nous faut réfléchir, ensemble, sur les conditions et les moyens à mobiliser pour sortir de cette crise de la création.

People237: La musique camerounaise reste-t-elle un bon patrimoine culturel a laissé aux générations futures?

J.O.N.: La question du legs n’est pas un problème en soi puisqu’on héritera toujours de quelque chose de bien, ou de moins appréciable. Je veux juste dire qu’on n’est pas responsable de ce dont on hérite : on fait avec. C’est tout.

Marie Claude


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